La medina commence par le somptueux spectacle de la foule
blanche des citadins et des nomades du desert, Berberes
nonchalants portant poignard courbe et manteau de bure noir
barre d'un vaste motif rouge.
Tous vont, viennent, deroulant harmonieusement les spirales de
leurs groupes d'un bout a l'autre de la place Djama al Fna.
Le Mellah n'a pas cette annonce royale. Il se
dissimule derriere des murailles sans caractere. On y entre par
une kysaria autrefois couverte qu longent les boutiques des
marchants d'etoffes. Les maisons sont lepreuses, le sol boueux ;
la salete la plus repugnante a mis ses stigmates sur les choses
et sur les gens.
Des etres sans nom passent, dans des vetements sans couleurs !
La lumiere meme en est attristee. Elle n'arrive pas, avec toute
sa magie, a parer cette unique desolation.
La laideur physique accompagne cette horreur. Plus on avance
dans le Mellah, plus elle s'accuse, plus elle marque cette
humanite degeneree qui se traine, pele-mele, livree aux
souillures, aux plaies, a tout ce qui peut etre cree de malsain
et de repugnant.
Le desordre des foundouks surcharges de marchandises, pleins de
vie et d'activite, offre la meme scene. En bas, les parmi les
sacs de ble ou de legumes, les pieces d'etoffe, les tas de ains
de sucre ; en haut sur le pourtour des galeries, a tous les
etages des femmes vetues de haillons.
Plus loin, le marche aux legumes etale dans la boue noire ses
denrees. A la sortie du Mellah, les marchands de charbon vendent
des navets dont le tas blanc voisine avec les tas noirs.
Dans cette synagogue, cependant, insoucieux de l'hygiene violee,
des jeunes gens discutent a perdre haleine les subtilites du
Talmud. Assis sur des nattes, ou a demi-couches sur les bans,
ils crient gesticulent sans treve.
Les Marrakchis sont d'enrages talmudistes - le Talmud n'est-ce
pas le seul livre qui jusqu'au vingtieme siecle ait penetre dans
le Mellah ? Comme il y est dit qu'un Juif doit toujours
s'instruire, les marchands memes, dans leur boutique, etudient
en attendant le client.
Les jeunes gens qui travaillent du matin au soir a cette
patiente escrime oratoire sont les savants officiels du Mellah.
Ils sont entretenus par les hommes les plus riches de la
communaute, afin qu'ils soient leur delegues dans la mission de
s'instruire.
Tel Juif qui aura peine toute sa vie dans sa boutique etroite,
pour ramasser une grosse fortune, donnera sa fille a ce pauvre
etudiant, parce qu'il le sait savant et intelligent ; il le
nourrira et le vetira, par orgueil et par admiration pour la
Science.
Il faudra avoir assiste a la priere dans la synagogue de
Marrakech pour comprendre a la fois l'abaissement et la grandeur
morale des Juifs de Marrakech.
La loi reste pour eux, plus encore que pour les Juifs de
Casablanca, la grande protectrice, la grande lumiere, la raison
ideale de vive. Au jour du Sabbat, ils l'embrassent avec une
ferveur ou il y a toutes les marques de l'affection que l'on
temoigne a une mere veneree.
La Loi est la seule certitude.
Texte ecrit par Pascale Saisset - Heures Juives au Maroc - (Rieder
1930, pages 139-153)
vvvvvv
Les Lettres de mon Mellah
(des
années 30)
De Raphaël
OHAYON.
Si les écrivains français ont eu leurs
inspirations, les uns au Parc du Luxembourg à Paris, les autres
des vagues de l'océan et de la Manche en Bretagne, ainsi que
Pagnol de sa Provence et d'Alphonse Daudet de Maître Martin et
de son Moulin, qui m'aurait inspiré à moi, petit juif exilé, si
ce n'est mon Mellah ?
En effet, il
fallait être insensible pour ne pas avoir les "tripes" prises
par la chaleur torride de l'été, le désespoir de ne pas voir
arriver ce Messie tant espéré pour sauver cette pauvre
population que, seul leur judaïsme aidait à mener la vie
sereine qui était la leur.
La pauvreté,
était leur "métier".
La joie de vivre les Chabatot (les samedis) et les Mohadim (les
fetes juives), ainsi que "hassot rétsone konam" ( pour se
conformer à la volonté de leur créateur (*). La joie d'avoir
encore un enfant à nourrir, malgré la précarité de leur
situation « matérielle ».....
La dignité dans
la pauvreté. La pureté des sentiments et l'honnêteté dans la
misère. Que dire de ces hommes et de ces femmes entassés dans
des masures qu'il serait long à décrire ?
Bien évidemment, il y avait des familles aisées, avec des
maisons bourgeoises, des enfants bien habillés bien nourris,
bien instruits. Mais elles n'étaient pas nombreuses, et avaient
aussi des parents pauvres à charge.
Les trois
prières journalières étaient pratiquées en Synagogue. L'ambiance
de nos fêtes quels que furent les moyens dont disposaient les
uns comme les autres, a toujours été maintenue pour la joie
surtout des enfants de tous âges.
Je ne cesserais
pas de rappeler que le tableau que je brosse date des années "trente".
Dans tout cela, l'étude de la Torah, pour la majorité, était
primordiale, bien que l'illettrisme soit fréquent en raison de
l'obligation "de sortir travailler" dès le bas âge.
Par la suite, et
c'est "la sortie meaféla léora"(des tenebres à la clarte) avec
l'arrivée des américains, la possibilité de fréquenter les
établissements secondaires, études supérieures à Paris, et
l'éclosion que nous connaissons .
L'élément
étant "fécond", et les handicaps écartés, il n'y a eu que le
temps de "franchir l'espace" pour arriver même, à occuper des
chaires à la Sorbonne.
Ce résumé, de
couleurs variées, m'amène à justifier le titre que j'ai choisi
pour les quelques pages que j'écris et qui seraient :
LES LETTRES DE MON MELLAH.
Pour l'Amour de
mes frères et sœurs juifs, où qu'ils se trouvent, avec leurs
peines et surtout leurs joies.
La génération
actuelle, n'ayant connu que Casa des années folles de l'après
guerre, est loin d'imaginer une vie juive au Maroc, telle que je
l'évoque. A chacun de fleurir ou de "faner" sa nostalgie.
La mienne, objective et « crue » peut ressembler à "un relief",
telle une sculpture.
N’est-il pas souhaité que notre fin soit meilleure que notre
début ?
Aussi rendons
Grâce au Créateur d’Avoir agit ainsi envers nous.
Raphaël Ohayon
natif de Marrakech.
Versailles 26
Novembre 2005.
(*)Kon’am :
leur acquéreur, traduction courante : créateur.
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