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La découverte des Juifs berbères
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L’intérêt
des Européens pour les Juifs des régions apparemment "
éloignées " du monde n’est pas une invention du XIXe siècle ;
ce qui est nouveau, c’est la signification conférée à cet
intérêt. La recherche sur les tribus perdues n’est plus
motivée uniquement par des considérations d’ordre messianique,
car à l’ère du colonialisme triomphant, la recherche
ethnographique sur les communautés lointaines d’Orient est
devenue un moyen de gouvernement.
De plus, pour les Juifs européens, la découverte de
coreligionnaires primitifs n’évoque pas seulement le souvenir
des tribus perdues mais leur révèle aussi d’anciennes coutumes
disparues, à un moment où eux-mêmes commencent à se considérer
comme une nation et se tournent vers les terres bibliques du
Levant pour restaurer la souveraineté juive [5].
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Exhumer les séquelles du passé berbère judéo-chrétien est un moyen
parmi d’autres visant à justifier le régime colonial au Maroc.
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Relations judéo-berbères : un cas
particulier ?
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En un lieu indéfini au sud de
l’Atlas que Davidson n’a pas pu atteindre durant son voyage, on
rapporte que 3 000 à 4 000 Juifs " vivent en toute liberté, et
pratiquent tous les métiers ; ils possèdent des mines et des carrières
qu’ils exploitent, ont de grands jardins et d’immenses vignobles, et
cultivent plus de maïs qu’ils ne peuvent en consommer ; ils disposent
de leur propre forme de gouvernement, et possèdent leurs terres depuis
l’époque de Salomon [22] ". Faisant sien le point de vue de Davidson,
Richardson y ajoute que les pratiques religieuses de ces Juifs, datent
de l’époque pré-exilique, et de ce fait " ils redisposent les parties
du Pentateuque et de la Torah dans le même ordre que celui de
l’ensemble des Juifs ". Vivant isolés, ils considèrent leurs frères
des autres parties du Maroc comme des hérétiques [23]. Les Juifs de
l’Atlas jouissent d’une " quasi indépendance vis-à-vis de l’autorité
impériale ", comme leurs voisins berbères. De plus, ces Juifs "
possèdent toutes les caractéristiques des montagnards... ils portent
le même costume qu’eux, et on ne peut pas les distinguer [de leurs
voisins musulmans [24]]".
L’une des raisons pour lesquelles certains écrivains de la période
coloniale considéraient la situation des Juifs parmi les Berbères
comme meilleure que parmi les Arabes venait de l’idée que les Juifs
étaient totalement intégrés à la société berbère, partageant nombre de
coutumes de leurs voisins musulmans. On considérait que les Juifs du
Haut-Atlas, par exemple, vivaient en paix et en symbiose avec les
Musulmans [25]. Les chercheurs contemporains se sont appuyés souvent
sur la littérature ethnographique coloniale pour décrire les relations
entre Musulmans et Juifs dans l’intérieur du pays. Malheureusement peu
de Juifs originaires des zones berbères ont été interrogés sur leur
expérience. Aussi loin que l’on remonterait, on découvrirait sans
doute une variété d’expériences que l’on ne saurait ramener à une
simple dichotomie arabo-berbère ou à un clivage entre zones citadines
et rurales. Les sources dont nous disposons sur les relations entre
Musulmans et Juifs à Iligh pendant la période pré-coloniale offrent à
cet égard une image très contrastée de ces relations.
Les sources provenant d’Iligh montrent que la communauté juive de
cette localité, aussi bien que la communauté voisine d’Ifran, étaient
étroitement liées au chef de la puissante famille du Sharif de la
famille Abu Dami’a. Les signatures et parfois les déclarations en
judéo-arabe des Juifs d’Iligh et d’Ifran quand ils recevaient des
acomptes du Shanf ou quand ce dernier leur payait ses dettes, sont
consignées dans deux livres de comptes appartenant à Husayn b. Hashim
[26]. Les Juifs d’Iligh, qui voyageaient souvent à Essaouira pour leur
commerce, étaient considérés comme des protégés du Sharif. S’ils
étaient dévalisés ou tués, le Sharif punissait en représailles la
localité à laquelle appartenaient les criminels. Parallèlement, le
Sultan étendait sa protection à ses tujjar qui voyageaient à Iligh
pour le commerce ou pour recouvrer leurs dettes. Les Juifs
entretenaient avec les puissants chefs d’Iligh des relations
comparables à celles des Juifs du Sultan. Dans un rapport envoyé
d’Essaouira (Mogador) à l’A.l.U, en 1874, par Abraham Corcos il y est
relaté que les Juifs d’Iligh considéraient le Sharif comme tout
puissant. " Étant donné que ce gouverneur... n’est pas soumis à
l’autorité de notre roi du Maroc, tout est objet de prières et de
suppliques [27] ". Ce qui y était en cause cependant n’était pas
l’oppression du Sharif, mais celle dont la responsabilité en incombait
à leur propre Shaykh (Nagid en hébreu) qui était fondé de pouvoir du
Sharif. Le Nagid Mas’ud b. Bokha, est décrit comme étant " une
personne non civilisée et inculte, qui soutire d’eux (les Juifs
d’Iligh) des amendes pour rien ou pour les moindres choses [28] ".
Nous y apprenons également que ce personnage même, Mas’ud b. Bokha
avait des relations d’affaires étroites avec le Sharif Husayn b.
Hashim [29]. Ce qui compte ici, c’est le fait qu’un appel ait été fait
à Essaouira, en parfaite connaissance de l’influence exercée par
l’Alliance israélite universelle. Sachant l’indépendance virtuelle du
Sharif Husayn, les Juifs d’Iligh avaient compris que ce n’était pas au
Sultan qu’ils pouvaient demander assistance. Mais vue
l’interdépendance économique entre Iligh et Essaouira, c’est par le
truchement des Corcos et de l’Alliance qu’ils avaient cru obtenir
l’intervention du Sharif contre le Nagid.
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Dans les années 1880, les
relations entre les Juifs d’Iligh et les autorités d’Iligh changèrent
de nature. Désormais, opprimés par le Sharif plutôt que par leur
Shaykh, ils firent appel à l’Alliance et à l’opinion juive d’Europe de
l’Ouest : sous le joug du puissant Sharif Muhammad b. Husayn b.
Hashim, ils pouvaient être dépouillés à tout moment de leurs biens et
de leur argent, et quand ils voyageaient pour leur commerce, leurs
femmes et leurs enfants étaient tenus en otages sur place. En 1889, un
commerçant prospère d’lligh, Isaac Souissa, se plaignit d’avoir été
battu à mort par ordre du Sharif, le 9 Av. Il s’enfuit à Essaouira, où
il demanda l’aide de l’A.I.U., de l’Anglo-Jewish Association et des
consulats étrangers, pour obliger le Sharif d’Iligh à libérer sa femme
et ses enfants et les autoriser à le rejoindre à Essaouira. Suivant
les témoignages émanant de Juifs de cette localité, la plupart des
Juifs du Sous vivaient en paix avec leurs voisins berbères à
l’exception d’lligh et de son chef tyrannique [30]. Foucauld, qui
visita cette région à la même période, explique que chez les Berbères
disposant d’institutions démocratiques, chaque Juif y avait son
patron, au contraire de la situation prévalant sous le régime des
Shaykhs puissants, comme au Tazerwalt (c’est-à-dire à lligh), où les
Juifs appartenaient corps et biens au Shaykh[31].
Plusieurs remarques s’imposent au sujet de ces témoignages. Le fait
qu’ils aient été transmis à Essaouira, avec laquelle les Juifs d’Iligh
avaient des liens étroits, montre que les Juifs étaient conscients de
l’influence des organisations juives étrangères et recherchaient leur
intervention. Il faut également souligner le fait que l’indépendance
du Sharif d’Iligh fut compromise vers 1880 par les harka du Sultan
Moulay al-Hasan [32]. Muhammad b. Husayn fut même nommé Qayid du
Makhzen,recevant une maison à Essaouira [33]. Investi de l’autorité du
Sultan, son pouvoir dépendait du Makhzen. Ce fut à cette période
également que la ville de Tiznit devint le principal centre politique
du Sous. Certains Juifs d’Iligh voulurent tirer profit de cette
évolution et déménagèrent à Tiznit ou à Essaouira où ils pouvaient
bénéficier de nouvelles possibilités commerciales. C’est ainsi que
Isaac Souissa vint à la mahalla du Sultan pendant la harka de 1886
pour implorer la protection royale et demander au Sultan la permission
de s’installer avec les siens à Tiznit. Il semble toutefois que le
Sultan ne souhaitait pas porter atteinte à ses nouvelles relations
politiques avec Iligh en provoquant la chute de son économie qui
dépendait des commerçants juifs. Ainsi, invoquant le prestige du
Murabit d’Iligh, le Sultan évita de faire pression sur le Sharif afin
qu’il laisse partir les Juifs. Isaac Souissa et sa famille
continuèrent à vivre à Iligh jusqu’au moment où Isaac parvint à
s’enfuir à Essaouira en 1889. Le Sharif nia avoir maltraité Isaac ou
sa famille et refusa de les laisser partir. Plusieurs mois plus tard,
il annonça au Sultan qu’il avait relâché les enfants d’Isaac pour
mettre fin aux accusations fallacieuses de la communauté juive à son
égard [34]. Le Sharif d’Iligh reconnut à cette occasion que, soumis à
des pressions étrangères, le Sultan était désormais le garant de la
dhimma (protection) des Juifs du Sous.
De même qu’on a tendance à considérer les relations judéo-musulmanes
comme étant le reflet des relations entre le Sultan et ses sujets
Juifs, on a aussi tendance à considérer les relations judéo-berbères
comme étant l’extension des relations entre les chefs de tribus et
leurs protégés juifs. Autant qu’on puisse en projeter le sens dans le
passé, les études récentes sur Iligh et sur les Juifs d’Iligh montrent
que les liens sociaux entre Juifs et Arabes d’Iligh étaient très
étroits, peut-être plus étroits que l’impression qu’en laisse le
tableau des relations entre le Sharif et la communauté juive. Il
ressort des conversations effectuées en 1980 qu’il les avait souvent
fréquentés. Il nous a montré un manuscrit qu’il avait écrit lui-même
sur la communauté juive. Il y mentionne en tout début de texte que les
Juifs vivant à Iligh ont quitté " notre pays (ou village) pour se
diriger vers leur pays " kharaju min baladina ila baladihim, et
recense ensuite chaque individu de la communauté, par son nom, sur
huit pages, non seulement les chefs de famille, mais aussi leurs
femmes et leur enfants. Il poursuit en décrivant les coutumes des
Juifs, puis signale " leur knesset, qui s’appelle sla ", et indique
par leurs noms les fêtes juives : Pessah, Souccot, Yom Kippour et
Hanouka [35], les prières quotidiennes qu’il appelle cArbit (Macariv),
Sahrit (shahrit) et Milha (minha), et au moment de la [nouvelle]
année, écrit-il, ils font des prières appelées slihot, pour lesquelles
ils doivent se lever au milieu de la nuit. Le Faqih nous a également
raconté qu’il écrivait des amulettes pour les Juifs. Les Juifs d’Iligh
interviewés à Casablanca et en Israël nous ont confirmé l’étroitesse
de leurs liens sociaux avec les Musulmans, tout en refusant d’admettre
que le Faqih leur fournissait des amulettes. Ainsi donc, à la suite de
l’exemple de cette seule communauté juive, nous pouvons affirmer que
les relations judéo-musulmanes étaient loin d’être statiques et
inchangées. |
Le colonialisme et la question
judéo-berbère
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Ainsi, l’image du Juif berbère,
" isolé du monde civilisé [49] ", descendant des tribus berbères
autochtones et maintenant des coutumes primitives était parfaitement
acceptée par la société coloniale. L’idée de trouver des Juifs shleuh
a guidé initialement mes recherches dans le Sous. Une des questions à
laquelle je voulais répondre était de savoir jusqu’à quel point les
Juifs de l’Atlas et de l’Anti-Atlas utilisaient le berbère dans
l’enseignement pour expliquer et traduire les textes religieux, ou
pour réciter certaines prières seulement [50]. La question fut posée
déjà par Galand et Zafrani avec la publication de la Haggada de Pessah
de la communauté juive de Tinrhir, basée sur un texte oral en
tamazight. Cette Haggada berbère a toutefois soulevé plus de questions
qu’elle n’a apporté de réponses. Le paysage linguistique de la
communauté juive, comme le souligne Zafrani, n’est pas net. La
question de l’usage du berbère par cette communauté et par d’autres
communautés judéo-berbères à des fins liturgiques est loin d’être
élucidée.
Certaines preuves linguistiques semblent démontrer l’existence, au XXe
siècle, de communautés juives éparses berbérophones. Certains
chercheurs estiment que ce phénomène était beaucoup plus étendu que je
ne le considérais moi-même. Des recherches récentes effectuées en
Israël parmi les Juifs originaires de régions berbérophones m’ont
confirmé cependant que très peu de communautés parlaient berbère à la
maison avant la seconde guerre mondiale [51]. Peu d’observateurs des
périodes antérieures se sont penchés sur la géographie linguistique
juive du Maroc rural. Exception faite de Foucauld qui affirme : " les
Israélites du Maroc parlent l’arabe. Dans les contrées où le tamazight
est en usage, ils le savent aussi ; en certains points le tamazight
leur est plus familier que l’arabe, mais nulle part ce dernier idiome
ne leur est inconnu [52] ". Foucauld se réfère-t-il aux deux dialectes
du Moyen-Atlas, le tamazight et le tashelhit ? Ce n’est pas clair.
Mais ses observations datant de la fin du XIXe siècle, selon
lesquelles la plupart des Juifs des régions berbérophones
connaissaient aussi bien le berbère que l’arabe et que dans certains
endroits le berbère était mieux connu que l’arabe, semblent
plausibles. Il s’avère par ailleurs que nombre de communautés
importantes du Sous et du Haut-Atlas étaient arabophones même si la
plupart des Juifs y parlaient aussi le berbère [53]. C’était le cas
d’Iligh dont les habitants juifs parlaient l’arabe. Bien qu’on
connaisse mal leur passé lointain, les documents écrits montrent que
le judéo-arabe était leur langue de culture, du moins depuis le début
du XIXe siècle. L’hébreu aussi était connu de l’élite culturelle, mais
il n’y a nulle part trace du judéo-berbère, ni dans les textes écrits,
ni dans la tradition orale. On n’a retrouvé aucune tradition indiquant
que le berbère était utilisé dans l’enseignement, dans la lecture de
textes religieux ou dans la récitation des prières.
S’agissant encore de la communauté juive d’Iligh, ce qui est frappant
dans son histoire relativement courte – moins de 400 ans – c’est son
cosmopolitisme et son ouverture relative sur le monde. Ainsi, ses
habitants eurent vent, au début du XVIIe siècle, de l’avènement de
Shabtai Tzvi [54].
Iligh fut détruite par Moulay Rashid en 1670, mais retrouva sa
position politique à la fin du XVIIIe siècle sous Sidi Hashim. En
1815, Sidi Hashim est ainsi décrit : " un homme entre 50 et 60 ans,
possédant une grande richesse et un grand pouvoir ; il est très rusé
et très brave mais rapace et cruel ; il a sous ses ordres 15 000
cavaliers des mieux armés... Toutes les caravanes qui traversent le
désert... jugent nécessaire de s’assurer son amitié et sa protection
par des présents. Entre ce chef et l’empereur du Maroc existent la
plus implacable des haines et une jalousie continuelle qui, il y a
quelques années, a éclaté en guerre ouverte [55] ". Assurément le
chiffre de 15 000 soldats est exagéré, car un marin naufragé qui fut
détenu pendant un certain temps dans l’Oued Noun parle de 600 Arabes "
montés " seulement sillonnant le pays [56]. Mais les observateurs
contemporains évoquent la puissance politique d’Hashim et le rôle
prépondérant d’Iligh dans le commerce transsaharien. Grâce à ses
commerçants juifs, Iligh était reliée à l’Europe par le port
d’Essaouira [57]. Il n’y avait pas que les marchandises et les
commerçants qui arrivaient du littoral à lligh. Des émissaires de
Palestine, comme Haim Joseph Masliah, en 1817, passèrent également par
Iligh [58], ainsi que des marins européens naufragés sur la côte et
tenus en otage à Iligh. Grâce à leurs relations avec le port
d’Essaouira, les Juifs d’Iligh servaient d’intermédiaires pour le
rachat et la restitution de ces captifs aux consulats européens
installés dans cette ville [59].
Avec le déclin du commerce transsaharien et la ruine d’Essaouira comme
port international à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle,
Iligh cessa d’être un centre de commerce international. Ceci porta
atteinte à la communauté juive locale dont les relations avec le monde
extérieur s’amenuisèrent. Cette situation s’aggrava davantage encore
pendant la période coloniale et jusqu’à la seconde Guerre mondiale.
Après la guerre, l’Alliance commença à développer son réseau des "
écoles de bled ". Dans l’optique de ses dirigeants, cette expansion à
l’intérieur du " vrai bled " devait englober les " villages isolés des
vallées de l’Atlas, du grand Sud et des oasis pré-sahariennes [60] ".
C’est donc vers la fin du Protectorat français qu’Iligh devait attirer
l’attention de l’Alliance qui y créa sa première école en 1954 [61],
aussitôt fermée avec le départ de la communauté quelques années plus
tard. Pour marquer l’ouverture de l’école, on tourna un film : " Ils
seront des hommes ". Lors de la projection du film, Jules Brunschvig,
le vice-président de l’Alliance, proclama : " l’École tirera ces
populations de leur misère [62] ". Un délégué de l’Alliance, en visite
à Iligh, mentionna l’école comme " ’héroïne si l’on peut dire, du
récent film de l’Alliance, et qui le mérite si bien [63] ". Toutefois,
après l’indépendance du Maroc, l’idée de perpétuer les communautés
juives des petits mellah du Sud marocain fut rapidement abandonnée,
les dirigeants du judaïsme marocain ne pouvant faire grand-chose pour
relever ces communautés rurales du Sud, pensant que celles-ci seraient
mieux en Israël. " J’ai vidé les mellah ", me dit un membre important
de la communauté en 1981.
Iligh était considérée comme éloignée du monde civilisé tant par les
Juifs urbains que par l’Alliance. Sa communauté qui s’installa en
Israël, entre la fin des années 1950 et le début des années 1960,
n’était pas aussi éloignée du monde juif, comme les hommes de
l’Alliance se l’imaginaient. Mais avant leur départ, les Juifs d’lligh
ont enterré dans la vieille synagogue de leur localité une Geniza que
j’ai fouillée en 1981. Malheureusement, presque tout son contenu était
en décomposition à cause de l’humidité du sol. Il en restait quelques
fragments datant de la période précédant le départ des Juifs. Des
textes religieux, des livres de prières ainsi que des fragments de
lettres et de livres de comptes en judéo-arabe. Certains fragments
révélaient que quelques livres de prières en usage à lligh avaient été
publiés en Pologne. Contrairement à l’idée prévalant en Israël, selon
laquelle les Juifs de cette contrée étaient totalement ignorants du
sionisme politique, la Geniza d’lligh nous a apporté la preuve de la
diffusion de textes hébreux modernes et de pamphlets sionistes.
La recherche sur les Juifs vivant parmi les Berbères reste encore à
faire et nous sommes conscients des lacunes qui restent à combler. Ce
que j’ai essayé de montrer dans cette étude est que notre savoir sur
les Juifs ruraux du Maroc reste largement tributaire des stéréotypes
sur le Juif berbère, stéréotypes acceptés aussi bien par le
colonisateur et que par les colonisés – reflétant les divisions
internes existant au sein des communautés juives du Maroc sous le
protectorat. Ces divisions ont été entretenues en Israël du fait de la
pérennité des mythes concernant les Juifs berbères.
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NOTES
- Sur une carte
préliminaire des communautés juives du sud marocain, voir
l’étude ethnographique de Harvey E. Goldberg, " The Mellahs
of Southern Morocco ", The Maghreb Review 8, 3-4,1983, pp.
61-69.
- On peut en
citer des dizaines d’exemples. Voir notamment la distinction
entre Juifs parlant le berbère et juifs parlant l’arabe
faite par Léon Godard, Description et histoire du Maroc,
Paris. C. Tanera, 1860, p.15. L’auteur se réfère aux tribus
berbères pratiquant le judaïsme dans l’Oued Noun et parmi
les Amazigh. Il semble croire qu’i1s vinrent de Palestine
dans de temps ancien. Il note que l’Oued Noun était une
région arabophone.
- Travels in
Morocco, Londres. Charles J. Skeet. 1860. II. pp 7-10.
- Nous avons
publié avec le regretté Paul Pascon un premier article sur
la communauté juive d’Iligh. " Le cimetière juif d’Iligh,
1751-1955 : étude des épitaphes comme documents d’histoire
sociale ", Revue de l’occident musulman et de la
Méditerranée. 34, 2, 1982, pp. 39-62. Une autre version de
cet article a aussi été publiée dans Paul Pascon. La Maison
d’Iligh et l’histoire sociale du Tazerwalt, Rabat, SMER,
1984. pp. 113-140.
- Voir notre
article " Orientalism and the Jews of the Mediterranean ",
Journal of Mediterranean Studies, 4.2.1994, pp. 183-196.
- Nahum
Slouschz, Travels in North Africa, Philadelphia, The Jewish
Publication Society of America, 1927, p. 274 ; idem, Un
voyage d’études juives en Afrique, Paris, Librairie C.
Klincksieck, 1909, pp. 3-15. L’hypothèse de l’origine
berbère des Juifs à l’intérieur du Maroc a été émise par
Moise Nahon, " Les Israélites du Maroc ", Revue des études
ethnographiques et sociologiques, 2. 1909, p. 259. Slouschz
avait déjà commencé à publier certaines de ses recherches
dans Archives Marocaines, en 1905, mais Nahon ne les cite
pas.
- Voir,
Abraham I Laredo, Berberes y hebreos en Marruecos, Madrid,
Instituto de Estudios Africanos, 1954. Dans la période post-coloniale
aussi, plusieurs chercheurs affirment que la plupart des
Juifs indigènes de l’Afrique du Nord descendent des tribus
berbères. Voir, par exemple, Gabriel Camps, Les Berbères :
Mémoire et identité, Paris, Éditions Errance, 1995, p. 98.
- Sur Le
Chatelier et la Mission scientifique du Maroc, voir Edmund
Burke, III, " La Mission scientifique au Maroc ", in Actes
de Durham : Recherches récentes sur le Maroc moderne, Rabat,
Publication du Bulletin économique et social du Maroc, 1978,
pp. 37-56 ; idem, " The First Crisis of orientalism,
1890-1914 ", in Contemporary North Africa, éditeur Halim
Barakat, Sydney, Croom Helm, 1985, pp. 217-219.
- Sur la
mission de Slouschz, voir Daniel Schroeter et Joseph Chetrit
" The Reform of Jewish Institutions in Morocco at the
Beginning of the Colonial Government (1912-1919) ", (en
hébreu), Miqqedem Umiyyam, 6, 1995, pp. 77-81; voir aussi
Mohammed Kenbib, Juifs et Musulmans au Maroc : 1859-1948,
Rabat, Université Mohammed V, Publications de la Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines, 1994, p. 411.
- Slouschz
Travels, p. ix.
- H. Z.
Hirschberg, " The problems of the Judaized Berbers ",
Journal 0f African History, 4, 1963. pp. 312-339. D’après
Norman Roth, la judéité des tribus berbères pré-islamiques
est douteuse à cause de la répression du judaïsme durant
l’occupation byzantine en Afrique du Nord. " The Kahina :
Legendary Material in the Accounts of the Jewish Berber
Queen ", The Maghreb Review, vol. 7, 5-6, 1982, p. 124. Tout
en acceptant l’essentiel de sa thèse, Hirschberg a été
critiqué pour avoir minimisé l’importance de la conversion
des Berbères au judaïsme, en raison de ses travers européens.
Hirschberg mêle, à son objectivité d’historien et
d’orientaliste érudit, une certaine subjectivité de Juif
occidental resté fidèle à ses traditions religieuses qui
découragent le prosélytisme, (André Chouraqui. Histoire des
Juifs en Afrique du Nord, Paris, Hachette, 1986, p. 65.) Par
ailleurs, dans une étude sur les groupes sanguins marocains,
il a été constaté que les juifs étaient différents de leurs
voisins musulmans : certains auteurs en virent la preuve que
si les Berbères ont été largement judaïsés à l’époque
pré-islamique, la plupart ont été islamisés par la suite, et
seuls les " juifs d’origine " ont conservé leur judaïsme. D.
Mechali, J. Levêque, et P. Faure, " Les groupes sanguins ABO
et Rh des Juifs du Maroc ", Bulletin de la Société
d’anthropologie de Paris, série 10, 9, 1957, pp. 354-370.
- The
Non-Jewish Origins of the Sephardic Jews, Albany: State
University of New York Press, 1996.
- Histoire des
Berbères, 4 vols, Paris, 1925-1956, vol. I, pp. 208-209.
- D. Jacques-Meunié,
Le Maroc saharien des origines au XVIe siècle, Paris,
Librairie Klincksieck, 1982, pp. 173-188. Voir aussi Gabriel
Camps, " Réflexions sur l’origine des Juifs des régions
nord-sahariennes ", dans M. Abitbol, Communautés juives des
marges sahariennes du Maghreb, Jérusalem, Institut Ben-Zvi,
1982, pp. 57-67.
- Voir Maya
Shatzmiller, L’Historiographie mérinide : Ibn Khaldun et ses
contemporains, Leiden. E. J. Brill, 1982, p. 115ff.
- Ibid, p.
188.
- Voir en
particulier Germain Ayache, " La fonction d’arbitrage du
Makhzen ", dans Études d’histoire marocaine, Rabat, SMFR,
1979, pp. 159-176. Sur l’évolution de la perception des
rapports entre makhzan et siba, dans l’ethnologie française
du Maroc. voir Edmund Burke III, " The Image of the Moroccan
State in French Ethnological Literature : a New Look at the
Origin of Lyautey’s Berber policy ", dans Ernest Gellner et
Charles Micaud, Arabs and Berbers (eds), Londres, Duckworth,
1973, pp. 175-199.
-
Reconnaissance au Maroc, 1883-1884, Paris, Challamel, p.
398.
- Travels, p.
483.
- John
Davidson, Notes Taken during Travels in Africa, Londres,
1839, p. 165.
- Ibid., p.
188.
- Ibid., p.
192.
- Richardson,
Travels, 11, pp. 8-9.
- Ibid, pp.
7-8.
- Voir à ce
sujet, " Jewish Existence in a Berber Environment ", dans
Jewish Societies in the Middle East, ed. par Shlomo Deshen
et P. Zenner, Wasbington DC, University Press of America,
1982, p. 107.
- Archives
d’Iligh. K3 et K10. Paul Pascon a examiné un choix
d’extraits de ces livres de comptes d’Iligh, voir à ce sujet
La Maison, pp. 80-81.
- AIU/Maroc
III. B. 14. Mogador 24 avril 1874, Abraham Corcos à AIU.
- Ibid.
- Extrait du
registre K3, Archives d’Iligh.
- Archives de
l’Alliance israélite universelle (ci-après AIU)/Maroc III.
C. 10 Mogador, le 19 juillet 1889, J de A Elmaleh à AIU ;
Hamagid, 23 septembre 1889 ; " Yishaq b. Yais Halewi " dans
Hasfirah 18, 1891: 573, 577. Le rapport du consul français
ne mentionne pas les coups, mais suggère que les prêts
constants qu’il était obligé de faire à Muhammad ont poussé
Souissa à s’enfuir, Archives du Ministère des Affaires
étrangères (Nantes), Tanger 95, Mogador, 23 août 1889,
Lacoste.
-
Reconnaissance au Maroc, p. 400. Voir à ce sujet Allan R.
Meyers, " Patrongage and Protection : The Status of Jews in
Precolonial Morocco ", dans Jewish Societies in the Middle
East, ed. par Shlomo Deshen et P. Zenner, Washington DC,
University Press of America, 1982, pp. 99-100.
- L. Justinard,
Un petit royaume berbère : le Tazeroualt. Un saint berbère
Sidi Ahmed ou Moussa, Paris, Maisonneuve, 1954, pp. 75-77 ;
E. Gérenton, " Les expéditions de Moulay El Hassan dans le
Sous, 1882-1886 ", Renseignements Coloniaux, (1924) :
265-286.
- Moharned
Ennaji et Paul Pascon, Le Makhzen et le Sous al-Aqsa, Paris,
CNRS, 1988, pp. 125-126.
- Ibid pp.
142, 169-170.
- Il fait
également référence à al-ashura al-kabira et al-sghira.
- Voir Burke,
" The Image of the Moroccan State ", pp. 193-194 et Kenneth
Brown " The Impact of the Dahir Berbère in Salé ", dans
Arabs and Berbers, op. cit., pp. 201-206.
- Nahum
Slouschz, " Hébraeo-phéniciens et judéo-berbères.
Introduction à l’histoire des Juifs et du judaïsme en
Afrique ", Archives Marocaines, 14, 1908, pp.
450-452.
- Slouschz,
Travels, p. 467.
- Pierre
Flamand, Diaspora juive en terre d’Islam. Les communautés
israélites du sud marocain ; essai de description et
d’analyse de la vie juive en milieu berbère, Casablanca,
1959, pp. 215-216.
- Nahon,
Les Israélites, p. 260.
- Pour un
exposé sur les mellah de l’Atlas dans les années
1930, voir Y. D. Semach, " Les saints de l’Atlas ", Paix
et Droit, n° 10, décembre 1937, pp. 10-11, n° 1 janvier
1938, pp. 7-8, n° 2, février 1938, pp. 10-11.
- Slouschz,
Travels, pp. 377-379. Voir, par exemple, Manuel L.
Ortega, Les Hebreos en Marruecos, Madrid. 1934, pp.
116-117 ; ces catégories, mutatis mutandis, sont
reproduites intégralement par Michael M. Laskier, The
Alliance Israélite universelle and the Jewish
Communities of Morocco :1862-1962, Albany, State
University of New York Press, 1983, pp. 20-21. Laskier
s’appuie à ce sujet sur Nahon (Les Israélites, p.
260).
- Voir, par
exemple Doris Bensimon-Dorath, Évolution du Judaïsme
marocain sous le Protectorat français, 1912-1956, Paris,
Mouton & Compagnie, 1968, p. 13. Laskier The Alliance,
pp. 14-16 ; idem, " Aspects of Change and
Modernisation the Jewish Communities of Morocco’s Bled ",
dans Communautés juives des marges sahariennes du Maghreb,
édité par M. Abitbol, Jérusalem, Institut Ben-Zvi, 1982,
pp. 331-332.
- Cf. Flamand,
Diaspora, pp 97-98.
- José Bénech,
Essai d’explication d’un mellah, s.d., pp. 29-30.
- Diaspora, p.
306
- Ibid.,
p 269.
- Bénech,
Essai, p. 11.
- Goldenberg,
Expédition, p. 27.
- P.
Galand-Pernet & Haïm Zafrani, Une version berbère de la
Haggada de Pessah, Paris, Geuthner, 1970, p. 2.
- Goldenberg,
Mellahs of Southern Morocco, pp. 62-63.
- Foucauld,
Reconnaissance, p. 398.
- A.
Goldenberg, " Expédition dans le Haut-Atlas marocain ",
Les Cahiers de L’Alliance Israélite Universelle,
septembre 1952, p. 27. Pour Akka, voir Vincent
Monteil, " Choses et gens du Bani ", Hespéris, 33,
1946, p. 39.
- Adversaire
notoire des Sabbatéens, Jacob Sasportas rapporte dans son
ouvrage Zizat Nobbel Zvi, les rumeurs relatives aux
dix tribus perdues circulant à Iligh : voir Hirschberg,
The Problem, pp. 332-333.
- Voir à ce
sujet James Riley, An Authentic Narrative 0f the Loss 0f
the American Brig Commerce, 1846, pp. 134-135.
- Archibard
Robbins, A Journal comprising an Account of the Loss
of the American brig Commerce, 1851, pp. 213-214.
- The
narrative of Robert Adams, Londres, 1816, pp. 76-77,
150-152.
- Archives
Nationales d’Outre Mer, Aix-en-Provence : F80 1589A, dossier
de Delaporte, Notes sur l’Afrique.
- Public
Record Office, F0 631/,4 avril 1816, Wiltshire ; Justinard,
Un petit royaume, op. cit., pp. 64-67.
- André
Goldenberg, " Les Juifs du Maroc et l’Alliance : les écoles
de bled ". Les Cahiers de l’Alliance israélite
universelle, nouvelle série, n° 5 juin 1993, p. 24.
- Elle
comptait 42 élèves en 1954 : Flamand, Diaspora, p.
312. A la veille de l’Indépendance, l’Alliance était
toujours intéressée par la perspective d’ouverture de
nouvelles écoles dans les régions isolées du Sud. Voir
Cochba Levy, " Notes de voyage dans l’extrême sud marocain
", Les Cahiers de l’Alliance Israélite Universelle,
n° 83, mal 1954, pp. 26-32.
- Ibid.,
p. 314.
- Levy,
Notes, pp. 31-32.
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